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Inventaire des églises

notamment à Saint-Pé-de-Bigorre

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De nos jours, faire l’inventaire des Monuments Historiques et notamment les objets à l’intérieur des églises ne choque personne. Au contraire, inventorier les objets, c’est mieux les connaître et mieux les protéger. L’inventaire des églises, décidé suite à la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905 suscita pourtant ça et là en France de nombreuses oppositions. Dans notre département, ce sont les habitants de Saint-Pé-de-Bigorre, près de Lourdes qui se sont le plus opposés aux opérations de l’Inventaire. Deux photographies très rares témoignent de cette époque.

Le 20 février 1906, suite à l’opposition des habitants (dont le Maire) de Saint-Pé, il fallut casser la porte de l’église. Apparemment, selon  les photos, ce ne fut pas chose simple. En bas de cette page, vous trouverez tous les détails de cette opération (rapport de police, article de presse).

En 2013, la porte de l’église Saint-Pierre (fondée en 1022 et reconstruite au XVII ème siècle) est toujours en place.

Mais elle a longtemps gardé les marques de l’opération d’Inventaire.

Une des photos les plus célèbres de cette époque a été prise en Ariège à Cominac, près de Oust. Les habitants se sont tous réunis auprès du curé, et l’accès de l’église est protégé par deux ours !


Le nouveau ministre de l'Intérieur Georges Clemenceau décide de renoncer aux opérations d'inventaire dans les cas où elles rencontrent une résistance violente. Le 20 mars 1906, alors qu'il ne reste plus que 5 000 sanctuaires, sur 68 000, à inventorier, il déclare à la Chambre : « Nous trouvons que la question de savoir si l'on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine ».

L’inventaire de l’église de Saint-Pé a pu se faire, et c’est heureux. C’est d’ailleurs une des églises les plus intéressantes à découvrir du département. Tableaux, tabernacle, statuettes, chaire à prêcher et stalles sont inscrits aux Monuments Historiques.

Notre-Dame de Saint-Pé, du XVème siècle, dont la main gauche a été brisée à la Révolution.

La Clef de Saint-Pierre; très vénérée au Moyen- Age. On dit qu’elle protégeait de la rage et on l’apposait sur le corps de la personne qui venait de se faire mordre.

Saint-Pierre

Aux archives du département, on peut trouver sous la référence V355, le rapport du Commissaire de Police :

Lourdes le 21 février 1906.

Le commissaire de police de Lourdes, à Monsieur Le Préfet des Hautes-Pyrénées et Monsieur le Sous-Préfet d’Argelès.

J’ai l’honneur de vous rendre compte que conformément aux instructions reçues, je me suis transporté hier matin à St Pé-de-Bigorre pour prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer le maintien du bon ordre à l’occasion de l’ouverture de l’inventaire prescrit par la loi du 9 décembre 1905, ouverture qui n’avait pu être faite le vendredi 16 courant, par suite du fait de certains énergumènes qui avaient fermé les portes de l’église paroissiale et avaient ainsi empêché M. Ste Colombe, inspecteur de l’enregistrement, de procéder audit inventaire.

[…] je me suis rendu chez le maire, M. Balencie, et tout d’abord l’ai informé que l’inventaire serait ouvert à midi et demi précis et l’ai invité à y assister […]. M. Balencie m’a répondu qu’il n’assisterait pas à l’inventaire et qu’il ne prendrait pas la direction de la police et qu’il entendait rester en dehors de tout et laisser ses administrés libres de manifester leurs sentiments ; que les portes de l’église étaient fermées et qu’elles ne s’ouvriraient pas, qu’il fallait qu’elles tombent sous la hache tout comme en 1789.

[…] Un gendarme a été placé en surveillance devant la porte principale de l’église et un second envoyé auprès de M ; le président du Conseil de Fabrique pour l’informer que l’inventaire s’ouvrirait à midi et demi précis et l’inviter à y assister. Entre temps je me suis rendu moi-même chez M. le Curé. […] M. le Curé m’a dit qu’il était souffrant, qu’il lui était impossible de sortir de chez lui, qu’il n’était pour rien dans la fermeture des portes de l’église et qu’il désapprouvait cette façon d’agir de la part de ses paroissiens […]. M. le Curé m’a paru sincère, il est réellement malade et en outre âgé de 83 ans m’a t’on dit.

MM. le Sous-Préfet d’Argelès et Ste Colombe, ce dernier chargé de procéder à l’inventaire sont arrivés sur les lieux vers midi. Il y avait alors aux alentours de l’église assez grande foule composée en majeure partie de femmes et d’enfants mais tout le monde était calme et personne ne poussait de cris. Certains groupes se découvraient même au passage de MM. Le Sous-Préfet, l’inspecteur de l’enregistrement et le lieutenant de Gendarmerie.

A midi et demi précis je me suis présenté avec ces Messieurs à la porte principale de l’église, elle était fermée, j’ai fait les trois sommations légales, elles sont demeurées sans effet. Immédiatement après j’ai fait notifier à M. le Curé et à Monsieur le Président du Conseil de Fabrique un arrêté par lequel M. le Sous-Préfet les mettait en demeure de remettre les clefs de l’église dans un délai maximum d’une heure et les informant que ce délai expiré il serait procédé d’office à l’ouverture des portes.

A une heure 40 minutes je me suis de nouveau présenté avec ces Messieurs à la porte principale de l’église, elle était toujours fermée, j’ai renouvelé les trois sommations légales, elles sont encore restées sans effet. Je me suis aussitôt transporté chez les deux serruriers existant dans l commune, j’ai trouvé leurs ateliers déserts […]. Je suis revenu devant l’église, et là quatre jeunes gens, les nommés : Nicolas Benoît, 24 ans, tailleur de pierres ; Roudière Julien, 23 ans, idem ; Lerbey Jean-Marie, 24 ans, journalier ; Brandan Joseph, 20 ans, idem ; tous domiciliés à St Pé se sont spontanément offerts pour enfoncer les portes. […] ils se sont armés de pinces et de haches et dix minutes après la porte principale d’entrée était ouverte. Cette porte donnait accès dans une sorte de vestibule mais pour pénétrer dans l’église proprement dite il a fallu enfoncer une seconde porte. Ces portes étaient à deux ouvrants ; les deux ouvrants étaient reliés par une barre de fer de plus d’un centimètre d’épaisseur sur cinq de largeur, fixée par d’énormes clous à vis, de sorte que lors bien même on aurait crocheté les serrures, on n’aurait pas pu ouvrir sans faire sauter cette barre de fer. Derrière les portes se trouvaient de petites barricades faites avec des bancs et des chaises. […] MM. Le Sous-Préfet et l’inspecteur de l’enregistrement ont pénétré avec moi dans l’église. Ils ont été suivis de près par un vicaire nommé Lavantes qui les a conduit dans la sacristie et là leur a lu une protestation au nom du Conseil de Fabrique. […] l’inventaire a été commencé et a été continué sans interruption et sans incident jusqu’à 4h1/2 du soir, heure à laquelle il a été terminé. Pendant que l’inventaire se faisait la foule qui avait été maintenue dehors par la Gendarmerie chantait des Cantiques. Aucun cri injurieux n’a été poussé contre les fonctionnaires et agents de l’autorité chargés de procéder à l’inventaire ou de maintenir le bon ordre. […]

Le Commissaire de police. Barrère.

Le journal « La Croix » du 25 février 1906 :

C’est fait ; la porte de l’antique église de St-Pé a sauté sous les coups de haches du gouvernement, et l’agent des domaines a pu instrumenter sous la protection de la police.

Déjà, le 16 février, M. Sainte-Colombe, inspecteur de l’enregistrement, s’était présenté pour procéder à l’inventaire ; mais la population avait solidement barricadé les portes ; la gendarmerie de St-Pé reçut l’ordre de lui prêter aide ; mais l’agent du se retirer sans pouvoir accomplir sa besogne.

Mardi dernier, 20 février, il revint, protégé par la gendarmerie de Lourdes. On espérait surprendre la population ; mais celle-ci, prévenue assez tôt, eut le temps de prendre ses mesures, et lorsque les autorités gouvernementales se présentèrent, on était à l’abri d’un coup de main.

A midi, M. le sous-préfet d’Argelès, M. le commissaire de police de Lourdes, ceints de leurs écharpes, la gendarmerie à cheval de Lourdes, commandée par un lieutenant, la gendarmerie de St-Pé, se trouvaient devant le porche, tandis que la population se massait dans la rue, sans se laisser le moins du monde intimider par ce déploiement extraordinaire de forces.

On avait espéré qu’il ne se trouverait pas à St-Pé un seul homme capable de porter une hache sacrilège contre l’église ; on avait compté sans le petit blocard de l’endroit, l’homme de M. Fould, qui venait de travailler dans l’ombre.

Tout à coup, on voit sortir d’une auberge quatre jeunes gens armés de haches et de barres de fer. On reconnaît quatre enfants de St-Pé.

Alors, un frisson d’horreur parcourt la population, silencieuse jusque-là ; une immense clameur accueillie les quatre malheureux, et le cri de : Judas ! jaillit spontanément de toutes les poitrines.

Hâves, livides, patibulaires, les quatre individus, conduits par les gendarmes, traversent la foule, sous les huées les plus indignées, les plus méprisantes. Ils s’avancent vers la porte de l’église, mais les Saint-Péens doutent encore ; ils n’en croient pas leurs yeux ; dans leur foi honnête et robuste, ils se disent que cela n’est pas vrai, que cela n’est pas possible, que l’attentat ne sera pas consommé. […]

Quant on voit ces individus travailler derrière le sous-préfet et le commissaire de police, et protégés par une haie de gendarmes ; quand on entend le bruit sourd, lugubre des haches, amplifié, répercuté par les voûtes de l’église ; quand on aperçoit les quatre malheureux faire rage contre la porte, la faire voler en morceaux, pour l’ébranler ; quand on voit le représentant du gouvernement et la police présider à cette sinistre besogne, alors on se croit revenu à 93 ; l’indignation, la honte, le mépris s’empare de la foule, et les huées pleuvent sur les opérateurs : « Judas, traîtres, vendus ».

Une brèche est enfin ouverte, et les autorités pénètrent sous le clocher. Là, une nouvelle déception les attend. La seconde porte est aussi solidement barricadée que la première, et les quatre ouvriers, qui pensaient en avoir assez fait pour leur argent, sont obligés de recommencer leur travail, et de faire sauter cette porte comme la première. […]

M. Balencie, maire de la ville, et M. Batbie, conseiller général du canton, n’ont cessé de recommander à la population une tenue calme et digne. Aussi aucun écart regrettable ne s’est produit.

On s’est gardé de toute manifestation contre M. le sous-préfet, le commissaire de police, le lieutenant de gendarmerie qui se sont montrés d’ailleurs très corrects. […]

C’est égal, on se souviendra longtemps à St-Pé de la scène du 20 février 1906.

En 93, les Révolutionnaires avaient, eux-aussi, enfoncée les portes de l’église de Saint-Pé. L’un de ces mécréants, - il s’appelait Mantis, - porta une main sacrilège sur la statue de la Sainte-Vierge, et lui fit tomber un bras.

Dieu le punit, et son souvenir s’est perpétué dans la mémoire des Saint-Péens. On ne le connaît que sous le nom de Maudit.

Les générations de Saint-Pé se transmettront de même le nom des quatre malheureux qui ont enfoncé à coups de haches les portes de leur église.

Ils ont fait cette besogne, parait-il, pour quelques sous. Judas, lui, s’était vendu pour trente deniers.

Voici le nom des quatre qui ont enfoncé la porte de l’église à coups de haches ; ils méritent de passer à la prospérité :

Nicolau, Benoît dit Parrau, tailleur de pierre ; Roudière, Julien, dit Pistole, tailleur de pierre ;

Labarrère-Lerbey, dit Arbion, manoeuvre ; Brandan, Joseph, dit Simonnet, manoeuvre.

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