Le journal d’un soldat
à Tarbes en 1899.
Pierre Castaing est né le 20 juin 1877 à Saint-Médard-en-Jalles, près de Bordeaux.
Le 16 novembre 1899, il est appelé pour servir sous les drapeaux. Il est affecté
au 53e Régiment d’Infanterie à Tarbes, dans la caserne Reffye, près de la gare, jusqu’en
1901. Il a eu une la bonne idée de rédiger un journal sur ses premiers jours d’affectation.
C’est ce document exceptionnel que nous mettons en ligne, agrémenté de quelques photos
d’époque.
Arrivé à Tarbes à 4h30, je suis allé rue Despourins, à côté de la place Maubourguet,
au restaurant Ste Barbe puis je suis venu dîner au restaurant de la Croix-Blanche
avec tous les collègues de St Médard, nous avons pris le café en face au Plantat,
j’ai payé tout à André. Je suis rentré à la caserne à midi et je n’ai été incorporé
qu’à 3 heures. Ceux qui n’arrivent pas à l’heure sont privés de permissions. Après
avoir donné notre n° de matricule, on va aux douches, ensuite on m’habille et tous
mes effets vont à la désinfection, et je suis mis à part, pour cause de maladie dans
le pays. Je suis avec le caporal Joubert, mon futur caporal et le caporal Lussin
engagé à la 16ème. Nous nous couchons vers 7h 1/2.
La rue Despourrins rejoint la Place de Verdun (ancienne place Maubourguet) à la rue
du Régiment-de-Bigorre (ancienne rue Thiers). C’était une rue avec une très mauvaise
réputation, véritable coupe-gorge, avec ses nombreuses tavernes et la maison de la
Borgne !
La caserne Reffye est aujourd’hui un lycée et une cité administrative (depuis 1945).
Lettre - A Raoul. Bon et gai voyage. J’ai rencontré beaucoup de connaissances de
Bordeaux, on vient de nous frusquer et je marque un point. Je vais boulotter la soupe,
je ne te dis rien de plus car j’en aurais trop donné, moi, des renseignements sur
le bal de la fanfare et dis à Augustin qu’il m’écrive.
Pas de réveil fixe. On nous porte le café à 7 heures au lit, puis nous allons nous
débarbouiller et nous faisons notre lit ; rien jusqu’à 10 heures, où nous mangeons
la soupe. A midi, nous partons en promenade sur la route de Bordères, on nous fait
un peu de théorie et nous rentrons au quartier. Je n’écris pas aujourd’hui ; arrivée
du caporal de la Seizième Lussin.
Tarbes - La route de Bordères
Comme hier café au lit. Nous allons passer la visite. M. Ferrié, médecin de 1ère
classe m’ausculte. 93 centimètres de poitrine, je pèse 76 kg habillé. Il me demande
des renseignements sur le cas qui m’a fait ajourner, il a l’air de faire prendre
des notes au caporal infirmier et il me dit « battements de cœur », je ne sais pas
trop à quoi m’en tenir. Nous allons nous promener sur la route de Pau au pied de
la côte de Ger. Théorie comme hier, assez fatigué au retour, pas de lettres, le soir
Souper en ville avec Nadalet et André, chez Lacassagne, je paye tout 3f 75 plus une
tournée 1f au Mazarin.
Rien à faire aujourd’hui. André me fait frusquer à midi et nous allons avec Oullasson
prendre 3 cafés que je paie. Ensuite, nous allons voir le matelot Carrière et Bonnevie
au vélodrome, puis nous allons voir le bal. Ensuite, nous allons prendre l’apéritif
avec Aris, et je leur paie le Souper à la Croix-Blanche à tous les deux. Ensuite
nous allons au Mazarin où ils paient une tournée chacun. Je rentre à 21 heures. Pas
de lettres, je trouve le temps long.
Le Mazarin (point bleu sur la photo) était un cabaret fréquenté par les militaires,
situé sur le Cours Gambetta, face à la caserne Larrey.
Pas de café, car on nous a oubliés, caporal et tout. Un peu de théorie dans la chambre,
je reçois une lettre de mon frère et nous mangeons la soupe. On allume du feu au
poêle, nous allons à Ossun au pas de gymnastique et en débandade pour boire du vin
blanc et manger du fromage de gruyère et du pain chaud. Le retour est assez fatiguant
car c’est à une dizaine de kilomètres. Les caporaux sont presque tous barrés et les
piles qui ont été chez eux aussi. Je ne mange qu’un peu à la Compagnie.
Lettre - Chers parents, si j’ai retardé deux jours pour vous écrire, c’est que je
voulais à peu près savoir si la vie que nous menions devait durer longtemps. Figurez-vous
que le le temps que j’ai passé à la salle d’isolement nous étions à part, comme si
nous venions d’avoir la peste, mais nous étions trop heureux. On nous portait le
café au lit, nous nous levions à l’heure que nous voulions, nous faisions notre lit
et ensuite à 10 heures, on nous portait la soupe. A midi ou à 1 heure, nous allions
nous promener avec deux caporaux pour ne rentrer qu’à la soupe et la journée était
finie. Nous n’avions que la privation de sortir en ville qui nous était refusée.
Mais ce matin, cette vie est finie : au lieu de nous porter le café au lit comme
nous en avions l’habitude, les caporaux sont venus foutre les hommes par terre, et
l’on nous a fait habiller à la hâte et nous rentrons dans nos compagnies. Je vous
assure qu’il y a beaucoup de changements. Quant à André et à Aris, je les vois très
souvent. André surtout, qui m’a fait sortir plusieurs fois. Je me suis loué une chambre
en ville avec le fils Nadal et deux autres Bordelais, dans la même maison que celle
d’André. Quant aux autres, je n’en ai pas vus beaucoup depuis notre rentrée. Dejean
est à la 4ème Compagnie, je ne le vois que très rarement. Le domestique de Charlot
couchait à côté de moi le temps que nous sommes resté en salle d’isolement. Quant
aux artilleurs, j’ai vu Dubourg hier soir, mais les autres je n’en ai vu aucun. D’ailleurs,
il paraît que les jeunes soldats sont consignés provisoirement,. Quand j’ai été sorti
de la caserne, A. Delage est venu pour me voir, mais j’étais parti. Je pense aller
le voir le plus tôt possible. Je termine ma lettre car on m’attend pour me donner
mon paquetage car je n’ai encore presque rien. Ce qui m’ennuie le plus, c’est mon
costume qu’on m’a pris pour le passer dans un bain, comme étant en danger de maladie,
et il paraît que ça l’abîme. Tu me dis que tu n’as pas été embarrassé de ton agneau.
Ici, la saison est commencée, tout le monde en a. Il y avait des jeunes soldats à
la salle d’isolement, qui sont d’Ossun, qui m’ont proposé de me faire voir des brebis
de la race des Pyrénées, et qui se vendent sur la place du marché de Lourdes, ce
sont des brebis d’une belle taille, tirant vers les béarnaises par la tête et les
oreilles.
La place du marché de Lourdes.
Levés à 7 heures. Le caporal est obligé de me donner du café, n’en ayant pas eu de
la Compagnie. A 8 heures et demie, un peu de théorie, puis nous mangeons la soupe
et nous allons continuer devant un château.
Lever à 7 heures. Les caporaux sortent les hommes des lits. Je vais porter le café
du caporal et ensuite le mien. Rien fait de la journée. Que m’habiller. Il y en a
bien assez.
Lever à 6 heures et demie. Nous allons à l’exercice au Pradeau avec De Jausindy.
Nous rentrons à 9h 1/2. A 10 heures, les lits sont faits et on nous matricule nos
effets. Je fais laver mon pantalon et mon bourgeron par Rey qui est de Lussac. Il
me prend 40 centimes.
* Le singe est du bœuf bouilli en conserve de l’armée.
Lever à l’habitude. On choisit les élèves caporaux, c’est à dire tous ceux qui veulent
en être. Lorsqu’il n’y en a pas au moins une dizaine par Compagnie, on choisit tous
ceux qui ont l’air un peu dégourdi ou qui ont fait une bonne page d’écriture. Il
ne faut pas essayer de mal faire sa page d’écriture lorsqu’on arrive au régiment,
car c’est une chose qui, dans ma Compagnie, a été très appréciée et on ne peut aller
ou demander à aller dans certaines places ou emplois si elle est mal faite. On travaille
dur, les corvées supplémentaires nous tombent dessus, distribuées par le lieutenant
et le sergent Duffaut.
Tarbes (véritable photo du XIXème siècle) : Le docteur faisant un pansement à un
soldat.
Lever habituel. Exercice au quai d’embarquement, puis nous revenons pour aller au
battage des couvertures au même endroit, ensuite nous avons trois revues dans l’après-midi.
Lettre. A mon oncle Gustave. Je profite d’un moment de répit pour vous faire savoir
de mes nouvelles, car il faut dire que nous sommes plus ennuyés lorsque l’exercice
est fini, et que nous sommes dans la chambre. Car les caporaux, les sergents et tout
le bataclan vous tombent sur le dos et ils ne sont pas gênés pour démolir votre lit
ou pour vous faire refaire votre paquetage, s’il n’est pas bien fait. Je vous assure
qu’il y en a qui souffrent véritablement, et ils ne sont pas rares ceux qui pleurent
dans les rangs, car c’est malheureux lorsqu’on fait ce que l’on peut et que l’on
est traité de tout. Enfin, il ne faut pas se monter le coup. Quant à moi, je fais
comme je peux, je ne me plains pas pour le moment. Je termine ma lettre car je vais
me préparer pour sortir en ville. Comme c’est dimanche, il faut en profiter. Je pense
que vous êtes en bonne santé, aussi je vous souhaite le bonjour à tous.
L’entrée de la caserne du 53e.
Lever à 6h 1/2. Distribution de jours de chambre en masse, puis épluchage des pommes.
Je couds et je mange la soupe pour sortir. Souper le soir avec Aris au restaurant
de la gare, nous y trouvons un caporal tambour, le nommé Dabat, il vient avec nous
à la gare et je paie 7 chartreux.
Tarbes - De nombreux soldats de la caserne Reffye fréquentaient les cafés et restaurants
de la gare.
Lettre. A mon oncle Antoine. Etant débarrassé de tout service car je suis hors de
la caserne, je m’empresse de vous écrire. Figurez-vous que le métier n’a rien d’attrayant
surtout dans les premiers jours, car on vous remue bougrement, et l’on est rudement
commandé avant d’être commandant. En arrivant, on nous a mis dans une salle d’isolement
comme sortant d’un pays contaminé, et tous nos effets ont été passé dans un bain
désinfectant. Dans cette salle, nous étions bien car nous n’avions rien à faire,
mais depuis, cela a bien changé. A présent, plus on en fait, plus on est mal vu,
mais enfin on prend autant que possible la chose du bon côté, et l’on ne se fait
pas trop de mauvais sang. Je ne puis pas vous dire grand chose sur la ville de Tarbes
car ce n’est rien de bien beau, cet été nous pourrons peut-être aller voir les environs
qui sont plus jolis. Je pense que chez vous, vous êtes tous bien. Quant à moi, il
n’y a que quelques jours que j’y suis et il me semble qu’il y a 10 ans. Je vous embrasse
à tous.
Par ordre du capitaine, on me change ma capote. Je sors avec Aris et nous allons
voir Gourdon et Dubourg. Nous allons d’abord au Café de Paris puis au Mazarin, je
paie une tournée. Aris me donne une paire d’épaulettes qui me sont très utiles car
j’en avais perdu une et j’avais peur qu’on s’en aperçoive. Ce jour-là, j’ai attrapé
une corvée par le lieutenant pour m’être gratté l’oreille, après qu’il avait commandé
fixe. J’ai reçu une lettre de mon père.
Lettre - A ma famille. Le voyage s’est bien passé. Nous avons été habillés à 3 heures
seulement, on nous a douchés, ce qui nous ennuie le plus c’est que nous sommes dans
une salle d’isolement. St Médard étant contaminé, on va nous désinfecter tous nos
effets. Je suis versé à la 11e Compagnie. Je serai camarade de lit de Moncet.
Les cafés du cours Gambetta dont le Mazarin, à droite.
Je reste pour passer la visite. Je ne fais rien de la matinée. Après-midi : théorie
et exercice.
Lettre. A Albert. Je suis resté un peu plus que toi sans t’écrire mais figure-toi
que je suis dans un milieu un peu étrange, et bien qu’ayant quelques notions sur
ce métier, je m’étais passablement trompé. Mais enfin, il faut espérer qu’on s’y
habituera. Je suis dans une Compagnie où on ne nous ménage pas beaucoup. Je t’assure
que le pas de gymnastique et la théorie ne nous sont pas ménagés. Nous n’avons encore
fait que ça ; nous allons commencer demain avec le fusil et la baïonnette. Nous avons
été hier soir au 14ème d’Artillerie, nous n’avons pu voir que Gourdon et Dubourg,
Alcide était de garde. Je n’ai pas encore pu voir Gabriel, ils sont tous bien, ils
se plaignent qu’on les travaille beaucoup, mais ils ne sont pas menés si sérieusement
que nous. Le bonjour à ta mère ainsi qu’à ton chantier.
Rien de nouveau, nous commençons avec le fusil et la baïonnette. Il fait bien froid.
Carte de visite. A Louis Duffaut. Je suis dans un milieu dont je ne m’étais jamais
fait une idée, mais je crois qu’il y aura des moments pour se rattraper des ennuis
des premiers jours. Ton ami Pierre.
Enterrement du commandant Nicole. On nous douche. Le soir, je sors avec Aris et André,
nous allons au Mazarin. Chacun pour soi.
Carte de visite. A Henri Balestic. Cher ami, ne sachant pas trop si ma lettre te
parviendra, car je ne sais pas trop ton adresse, je ne t’en mets pas davantage. Je
pense aller te surprendre un de ces jours avec Aris. Ton ami Pierre.
Tarbes (véritable photo du XIXème siècle) : entraînement à la mise hors service d’une
voie ferrée.
Tarbes (véritable photo du XIXème siècle) : exercice de pointage indirect.
Le matin au Pradeau. Le lieutenant distribue les jours de corvées. L’après-midi,
le colonel passe 3 revues. Le capitaine donne du vin le soir ¼ par personne.
J’écris à mon grand-père. Balade lui donne des explications sur le métier.
Pas grand chose dans la matinée. L’après-midi, revue de détail par l’adjudant.
Quelques mots sur une carte de visite à Fernand Lesage.
Aris me coupe les cheveux. Puis nous sortons ensemble à 13 heures. Je mets 4 lettres
à la poste pour H. Balestic, L. Duffaut, F. Lestage et M. Balade. Je paie le souper
pour les épaulettes qu’il m’a données. Permission de 10 heures.
Exercice avec le fusil. Je suis obligé de manger à la cantine car il y a du lard
immangeable, puis j’écris à Tartas.
Lettre. A Tartas. Cher ami, ne sachant pas si tu étais resté chez toi, ni revenu
au régiment, j’ai retardé un peu pour t’écrire. Figure-toi que je suis dans un joli
métier que je trouve très drôle pour le moment, mais un peu trop sévère. Je ne rentre
pas dans de plus amples détails sur le métier puisque tu le connais aussi bien que
moi. Quant à la ville de Tarbes, on y voit plus de cochons, de vaches et de veaux
que de civils. Mais il faut espérer qu’au printemps ou à l’été, nous pourrons voir
les environs qui sont plus agréables. J’espère que tu me donneras plus de détails
sur ta prochaine lettre, si tu as une prolongation ou si tu es revenu à Bonifacio.
En attendant, Pierre.
Tarbes « on y voit plus de cochons, de vaches et de veaux que de civils »
Je reçois vingt francs de mon grand-père. Je suis obligé de manger à la cantine à
cause du lard qui est immangeable. On le met à tremper deux ou trois jours à l’avance,
en ayant soin de le changer d’eau, et il est encore salé. Et puis échauffé, il n’y
a vraiment que ceux qui n’ont pas le sou qui restent. Le soir, on me fait toucher
mes affaires que l’on m’avait simplement enfermé dans une cellule pour les désinfecter.
On nous matricule nos gamelles, nos cuillères et fourchettes et le quart. Le soir,
je reçois une lettre de F. Lestage bien que je ne lui avis écrit que le dimanche
auparavant, et une de Maurice Labeau, le moutonnier.
Je donne mon mandat à Darany pour le toucher, on me remet une cuillère, une fourchette
et mon quart avec mon matricule. Revue de paquetage à midi ½ par le lieutenant Estagnasié.
C’est vite passé car c’est un bon bougre. Je vais porter le soir mes affaires qui
sortent de ma cellule à ma chambre.
Deux heures de manœuvre sans pause. Ce sacré lieutenant en pince pour l’exercice,
nous en savons quelque chose. Moncet est de retour à la Compagnie. Après s’être fait
casser, il offre deux rangs de suite.
Lettre. A Maurice. Votre lettre ma fait un vif plaisir car je ne m’attendais pas
à une pareille correspondance de votre part. Mais il faut dire aussi que si j’ai
été bien content, j’ai été bien peiné lorsque j’ai appris la mort de ces pauvres
jeunes hommes à la fleur de l’âge, et au moment même où tout fleurissait à leurs
yeux. Je vous remercie de tous les renseignements que vous me donnez au sujet de
mon remplaçant. Il faut espérer qu’avec un peu de bonne volonté et de l’entraînement,
par vous principalement qui pouvez plus que personne l’initier et l’encourager, il
parviendra bien vite. Quant à l’autre, sujet particulier, je lui donne plein pouvoir
et je lui souhaite de réussir. Vous me parlez de moutons, que vous n’en avez guère
plus, mais vous ne me dites rien des agneaux. Je pense que vous ne tarderez pas à
en avoir. Quant à la ville de Tarbes, ce n’est rien de remarquable, le temps s’est
mis à la pluie aujourd’hui. Autrement, il faisait un froid de chien ce qui n’est
guère agréable pour notre métier. Je ne parle pas de permission car je ne peux donner
de renseignements exacts. Je vous prie de dire à mon frère qu’il m’écrive, quoique
je ne lui ai pas écrit. Vous souhaiterez le bonjour chez moi, principalement à mon
grand-père et ma grand-mère. Quant à vous, je vous serre cordialement la main mais
de bien loin. Bien le bonjour à tous ceux qui vous ont prié de me le souhaiter sans
oublier Gaston et Madame Balai. Pierre.
A cause du mauvais temps, 5 ou 6 contre-ordres. L’après-midi, revue de détail par
la capitaine. Le soir, je sors. J’ai reçu une lettre de mon grand-père. C’est curieux
le plaisir que cela me fait de recevoir des nouvelles.
On veut nous faire gratter des cailloux à tous avec une queue de fourchette, pour
sortir la saleté. Ils oublient qu’il fait un froid de chien et que la terre est complètement
gelée. Je sors avec Aris à 11 heures. Nous entendons la société Sainte-Cécile et
l’Orphéon et nous allons souper à la gare. Permission de 10 heures.
Exercice dans les chambres. Je reçois une lettre de mon frère et je lui réponds le
même jour. Je fais la chambre.
Exercice dans la chambre. Je reçois une lettre d’Albert Mora. On me chine un peu
car on trouve que je reçois beaucoup de lettres, mais j’en écris aussi bien assez.
Mais cela me fait tant de plaisir de recevoir une lettre qui parle de chez moi. Le
soir, je vais au Mazarin où Aris me rejoint.
Exercices et théories dans les chambres. Le soir, André paie le café : 1ère fois.
Je reçois une lettre de Louis Duffaut.
Exercice avec le fusil par peloton. C’est assez gentil pour ceux qui sont au second
rang mais ceux qui sont au premier ont besoin de se tenir à carreau car on s’aperçoit
de toutes leurs fautes et on note soigneusement leur nom.
Le capitaine vient nous voir à la caserne. Je pense qu’il est assez rare. Le colonel
avait donné l’ordre que l’on prenne les guêtres blanches, malgré le mauvais temps.
Ce capitaine est vraiment un des plus charmants du 53 ; palmes académiques, médaille
de Tunisie, de l’Annam et chevalier de la Légion d’Honneur. Et voilà les décorations
du capitaine Isnol, âgé d’environ 38 ans, se parfumant comme une grande cocotte,
mais avec ça un drôle de caractère. J’appris à le connaître plus tard. On voir bien
qu’il sortait de Saint-Cyr et qu’il ignorait complètement la vie du soldat. Je suis
pourtant tenté à l’admirer et à le regarder comme un petit dieu. Le fait est que
je suis heureux toutes les fois qu’il vient bien que je ne sais guère lui faire comprendre.
Je crois que je préfèrerais faire le double de travail avec lui qu’avec ce petit
avorton de lieutenant qui a l’air d’une vraie vipère.
Suite et fin du 16 décembre au 30 décembre 1899
Le 16 décembre - Au lieu d’aller battre les couvertures comme d’habitude, le capitaine
n’étant pas content de nous, il nous fait manoeuvrer avec un froid incroyable, et
nous allons battre les couvertures à 9h ½ au lieu d’avoir repos. L’après-midi, revue
d’ornement par l’adjudant.
Le 17 décembre - Le caporal nous passe une revue d’astiquage. Je sors avec Aris à
13 heures. Nous allons à la Patte d’Oie, puis nous allons souper à la gare. Le soir,
nous allons au Mazarin.
Tarbes-Aureilhan - Le quartier de la Patte d’oie qui porte ce nom, car les rues
lui donnent la forme d’une patte d’oie, vues du ciel.
Le 18 décembre - Le matin au quai d’embarquement, Levreau n’est pas content de moi.
Après-midi, exercice avec Estagnasié, dans la cour. Je reçois une lettre de mon père.
Le 19 décembre - Je sors le soir avec Aris. Permissions de la Noël réduites pour
les anciens à 6 par Compagnie et à 6 jours chacun. Nous allons au « 4 » avec Aris,
pas manière de voir personne.
Lettre à mes parents - Je m’empresse de répondre à votre lettre, d’abord pour vous
consoler de la peur que vous aviez que j’aille à Madagascar, car ce n’est pas ce
qui m’inquiète pour le moment. Je n’en ai pas entendu parler si ce n’est par les
artilleurs qui m’ont dit qu’on devait envoyer une batterie du 24. Dans mon régiment,
on a demandé des hommes pour aller dans l’Infanterie ou l’Artillerie de Marine, et
on ne prend que les volontaires, et il faut qu’ils aient au moins 1 an de service.
Ils en ont trouvé le double qu’il n’en fallait. Je suis très peiné du malheur qui
est arrivé au fils Berlan. Il y a un moniteur de gymnastique qui s’est fait casser
une jambe en se battant avec des civils, et on nous défend de passer dans cette rue
qui est gardée militairement. Aujourd’hui, on a commencé à nous parler des permissions,
qui je le crois seront très limitées. Il y a pour la Noël 42 jours de permission
par Compagnie, et pour les anciens soldats, elles sont divisées en 6 parties dont
3 pour les sous-officiers et caporaux. C’est à dire que ceux des 6 qui auront des
permissions auront 7 jours chacun. On nous a aussi avertis qu’il y aura d’autres
permissions pour le 1er de l’An, mais nous n’en savons pas davantage. Aussi, je ne
puis rien vous fixer à ce sujet. Je vous écrirais aussitôt que je saurais quelque
chose. Je te prie de bien souhaiter le bonjour à M. Cornier de ma part ainsi qu’à
Mme Cornier si tu as l’occasion de la voir. Quant à moi, je ne me suis jamais mieux
porté et je désire que vous soyez comme ça.
Le 20 décembre - On nous avertit que le général de brigade Lefèvre d’Ormesson doit
nous passer une revue demain. Le soir, astiquage et frottage des planchers jusqu’à
22 heures.
Le 21 décembre - A 7 h ¼ en bas en tenue, pour la revue. Notre Compagnie est renvoyée
à l’après-midi. Tenue : guêtres blanches, bourgeron et pantalon de toile. Nous passons
la revue à 13h15. Le général nous complimente sur notre santé. A 15h 30, j’écris
une lettre à la hâte à mon père lui demandant une caisse d’huîtres et principalement
du vin, car celui que l’on nous donne est exécrable. Le soir, je sors avec Aris et
les bicyclettes. Nous allons faire de la flanelle rue des Jardins* et je rejoins
Aris au Mazarin. (* La rue des Jardins est aujourd’hui dans le quartier du Martinet.)
Le 22 décembre - Exercice d’escrime à la baïonnette. Le soir, Alcide vient me trouver
et me propose de porter une valise chez lui si je vais en permission.
Le 23 décembre - Exercice le matin. Le soir, revue d’armes, d’effets n°4 et de casernement
par l’adjudant. Permissions : 6 anciens de 6 jours, 15 de 2 ou 3 ans pour 5 jours,
et 6 d’un an pour 48 heures. Le soir, je sors avec Alcide, il m’amène voir sa dame.
Nous prenons le café chez elle rue Mesclin.
Le 24 décembre - Je vais rue Mesclin. Je paie l’apéro à Alcide rue Gondrin aux Folies
Tarbaises. Madame Elise offre le souper. Je reçois le colis de la maison mais je
ne peux le toucher que le lendemain en versant 1 franc pour l’octroi. N’ayant guère
d’amis bien connus car les Artilleurs et Aris sont en permission, j’invite Madelon
qui est garde-magasin dans l’espoir qu’il en sera reconnaissant, et les 2 cabots
de la chambre qui ne me quittent guère de peur que je ne leur dise pas de venir le
manger avec nous.
Tarbes - La rue Mesclin, qui va de la rue Pasteur à la rue Victor-Hugo, n’a guère
changé
Tarbes - La rue Gondrin est l’ancien nom de la rue Victor-Hugo jusqu’en 1900. Elle
est située face à la gare.
Le 25 décembre - J’écris à mes grands-parents. Je leur parle de mon existence. Je
reçois une lettre de mon père. J’écris aussi à F. Lestage en lui demandant s’il n’a
pas de commissions à faire pour le 1er de l’An. Je couds et je lave toute la journée
et le soir, nous mangeons le colis chez Capron. La bande augmente. Parenteau, cuisinier
en pied, vient avec nous, ainsi que mon camarade de lit, Dejean de Mios.
Le 26 décembre - Rien à faire, je ne sors pas.
Le 27 décembre - J’écris à mon père.
Le 28 décembre - Rien de nouveau.
Le 29 décembre - Le lieutenant-colonel nous passe une revue et nous nous préparons
pour partir en permissions.
Le 30 décembre - Nous partons à 5 heures du matin de la gare. Nous sommes debout
depuis 4h 1/4, on nous donne un café et on nous conduit à la gare en détachement.
Quelle journée de joie pour ceux qui partent et de tristesse pour ceux qui restent.
Je passe 5 jours chez moi à aider mes parents. Au retour, j’apporte beaucoup de provisions
et j’amène ma bicyclette. Nous arrivons à 16h30. Je vais à ma chambre porter ma valise
et j’arrive au quartier à 17 heures croyant trouver tout en désordre, mais mon paquetage
est en place, mon lit est fait. C’est rudement agréable. Deux lettres m’attendent,
une d’Edmond et une d’Augustin. J’en écris trois dont une à Edmond, une autre à Doulac
et une autre à Perreaux.
J’aurais voulu raconter toute ma vie au régiment, ce qui m’est complètement impossible.
J’ai voulu faire cette description aussi complète que possible des premiers jours
et enregistrer avec beaucoup de soin la nourriture que l’on nous donnait et qui était
naturellement préparée par des cuisiniers d’occasion, qui n’étaient fixés que par
une seule chose, c’est qu’il fallait tant de portions. Que les vivres soient avantageux
ou non, peu leur importait, que ce soit cuit ou cru, bon ou mauvais, tout cela passait
beaucoup après. FIN.
Certificat de bonne conduite de Pierre Castaing - délivré le 1er septembre 1901.
Le 53ème Régiment d’Infanterie de la caserne Reffye de Tarbes a quitté la ville en
juin 1907. 1200 hommes environ sont partis en quelques heures pour s’installer à
Perpignan, afin de maintenir l’ordre dans cette région qui était agitée. Cela se
fit avec une certaine émotion à Tarbes (beaucoup de jeunes filles avaient épousé
un sous-officier du 53) et avec une certaine agitation à Perpignan (mutinerie, colonel
aux arrêts, etc.). Le 12e Régiment d’Infanterie de Perpignan est venu remplacer le
53 à Tarbes en juillet 1907 jusqu’à la seconde guerre mondiale.
Tarbes - Un kiosque sur les Allées permettait aux différentes sociétés musicales
de se produire. Le kiosque a été déménagé par la suite au jardin Massey où il se
trouve encore. On a remplacé le kiosque sur les Allées par le Monument aux Morts
du Département.