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La monographie de Layrisse - 1887

En 1886, la ville de Toulouse décide d'organiser "une exposition internationale sous le patronage de l'Etat" : Tous les instituteurs titulaires sans exception devront envoyer à l'inspection académique les monographies de leur commune...

Layrisse, le 12 avril 1887.

L'instituteur public, Racine

Retrouvez des photos anciennes de Layrisse en cliquant ici. Revenir à la page "Bonus et surprises".

Monographie de la commune de Layrisse
Canton d'Ossun, département des Hautes-Pyrénées

A treize kilomètres sud de Tarbes et à huit environ d'Ossun, sur un mamelon assez élevé, entre Bénac, Orincles, Loucrup, et Visker, se trouve la petite commune de Layrisse. Cette localité, vierge encore de toute exploration, ne possède aucune curiosité naturelle propre à attirer le regard scrutateur du savant ou d'un voyageur quelconque : l'herborisateur n'y trouvera pas en effet de plante nouvelle ; le naturaliste ne s'enrichira pas d'une production naturelle inconnue et le touriste sera fortement déçu s'il s'attend à éprouver sur ce sol déshérité une émotion qu'il n'ait pas jusqu'alors ressentie. Cette commune peut, tout au plus, par sa situation, être consignée sur une carte militaire comme point dominant d'une partie de la vallée étroite, mais coquette et fertile de l'Echez, qui coule à ses pieds. La partie est du territoire, visitée autrefois, m'a-t-on dit, par certain officier, est presque plane sur une étendue assez restreinte, à l'exception pourtant de quelques ondulations qui rendent ce quartier quelque peu pittoresque. De là, en effet, la vue s'élève, s'étend au loin vers le sud, et, par une belle journée, l'œil se réjouit de l'aspect majestueux des Pyrénées ; plus bas, dans un horizon visuel moins élevé, le regard aperçoit plusieurs villages échelonnés sur le flanc de hautes collines. Si l'on se tourne vers le N.-O et que l'on se place derrière la maison commune, on découvre au loin Ossun, Ibos, Azereix et les bâtiments de quelques fermes situées sur des coteaux assez éloignés. A peu près dans la même direction, mais sur un autre point, on remarque Lanne, Louey, Hibarette, puis plus près Barry et Bénac, qui limite Layrisse. Les autres villages qui l'entourent paraissent d'ailleurs de n'importe quel endroit, à l'exception de Loucrup, qui ne se laisse pas voir du tout, et d'Orincles, qui, d'un lieu déterminé, se montre facilement aux regards, fièrement assis au bord de l'Echez.


Le territoire de la commune, d'une étendue de 327 hect., 52a., 60 ca. Se compose d'une série de petits mamelons coupés de gorges peu profondes, et dont quelques-uns sont abruptes, entièrement nus ou ne fournissent que des fougères ou des thuyes ; d'autres sont plantés de taillis nains, de mince valeur, seule production d'ailleurs qu'ils peuvent donner ; d'autres enfin, moins inféconds, sont garnis de châtaigniers communs ou forment de petites chênaies. Comme on le voit, le sol est montueux, tristement accidenté dans sa plus grande étendue et ne présenterait au regard d'un spectateur que des hauteurs sans charme, à la vue monotone, dont l'aspect se modifie quelque peu pendant une partie de la belle saison seulement. - La pauvreté relative du terrain est encore aggravée par le manque d'eau. Un seul petit ruisseau, en effet, arrose une bien faible partie du territoire. Ce courant d'eau, appelé Aube, est encaissé ; traverse en serpentant une étendue resserrée et alimente de ses eaux claires les prairies naturelles qui longent ses rives. Le débit de l'Aube est pour ainsi dire insignifiant : ce ruisseau qui n'a qu'une longueur de 8 Km. environ sort d'une jonchée marécageuse située à une centaine de mètres est de Loucrup ; il sert de déversoir à l'eau des faibles fontaines qui sourdent sur son parcours, forme en grande partie la limite naturelle des territoires de Layrisse et de Visker et va se jeter dans l'Echez au centre même du village de Hibarette après avoir fait un nombre infini de circuits. Ses crues sont, comme on peut en juger, de peu de conséquence et n'entraînent que rarement une détérioration notable dans les terres ; elles leur servent tout au contraire de fertilisant par les petits dépôts qu'elles y forment.

Parmi les diverses fontaines qui s'écoulent dans l'Aube, deux surtout sont remarquables par la légèreté de leur eau, qui, au dire des habitants, n'incommode jamais le corps, même quand il est en transpiration. Ces 2 sources inoffensives, constamment salutaires, sont connues sous les dénominations locales de fontaine de Mounican et de fontaine de Maoudos. Elles sont peu éloignées du village et désaltèrent les travailleurs pendant la saison des travaux. Une autre fontaine, las Hountétos, se trouve dans la localité même et a été l'objet il y a quelques années d'un travail appréciable et d'utilité publique de la part de la municipalité d'alors. Un grand nombre d'habitants, les voisins surtout, y vont puiser une eau dont l'excellence est supérieure à celle de leurs puits, qui cependant est de bonne qualité. L'eau des puits est en effet légère également, et, remarque bizarre, d'une bonté, qui, au dire des gens, varie selon les habitations. Je dois ajouter que chaque maison possède un puits, malgré les difficultés qu'il a fallu surmonter pour le creuser, malgré surtout l'altitude relativement élevée du village, qui n'a jamais été évaluée et qui, à mon sens, peut se chiffrer approximativement par 480 m. Cette élévation du sol, le voisinage des bocquetaux qui entourent Layrisse et le cachent aux regards d'Orincles et de Bénac, entretiennent dans la localité un air pur, un climat salubre, une température modérée en toute saison dans les quartiers quelque peu abrités, mais excessive pendant l'été dans les bas-fonds et rigoureuse pendant l'hiver dans les endroits que les accidents de terrain ne protègent pas contre la bise. Dans ces mêmes quartiers, un air vif et pénétrant y procure pendant la chaude saison le bien-être d'une fraîcheur vraiment agréable, mais trompeuse et nuisible pour peu que l'on soit en transpiration. - Les pluies sont d'ailleurs assez fréquentes et amenées surtout par les vents du S.-O et du S., qui est rare mais violent.


De la description physique que j'ai faite du territoire, on conclut facilement que le sol se prête peu à une culture quelconque faite en grand. Ce sol, où l'élément argileux domine et qui ne contient pas les principes constitutifs nécessaires, donne des productions à peine suffisantes à l'entretien de ses habitants. Ceux-ci d'ailleurs ont individuellement une trop grande quantité de terres pour pouvoir y apporter les soins qu'exigerait la pauvreté native du sol ; les engrais sont insuffisants ; le travail fourni par chacun est hors de proportion avec la quantité de terrain possédée ; de plus la routine et la superstition entravent encore l'amélioration des procédés de culture qui pour la plupart sont défectueux. Cependant, comme je l'ai dit plus haut, chaque propriétaire récolte bon ou mal an sa provision de blé, de maïs, de pommes de terre ; d'autres productions, telles que les haricots, l'avoine, le lin, etc., fournissent à peine à leurs besoins principaux ; par contre, les châtaigniers et les arbres fruitiers donnent un rendement souvent très abondant dont l'excédant est écoulé en partie dans les marchés de Tarbes, Lourdes ou Bagnères. - Les vignes sont depuis quelques années à peu près improductives, bien que le phylloxera n'ait pas encore dirigé son vol dévastateur vers ces hautes régions ; la cause de leur stérilité est problématique pour les habitants qui s'obstinent avec raison à redoubler de soins pour combattre le fléau inconnu (le mildew, apparemment). Quand la saison est favorable, certains vignobles plantés sur un sol rocailleux et bien exposé produisent un vin blanc assez agréable ; d'autres moins bien situés donnent un vin de qualité inférieure : dans les autres enfin, on récolte un verjus propre tout au plus à étancher la soif. Avant l'apparition de l'oïdium, des vergers plantés de vignes hautes procuraient un vin rouge d'une bonté dont les habitants vous parlent maintenant avec amertume et regret. Une boisson dédaignée autrefois, le cidre, remplit en partie actuellement les tonneaux destinés dans des temps meilleurs au vin de 1re qualité.


Par ce qui précède, on peut voir qu'il est difficile de signaler une culture vraiment dominante à Layrisse ; celle qui prévaut en réalité consiste dans l'exploitation des châtaigniers et des arbres fruitiers ; le blé est bien cultivé sur une grande étendue de terrain, mais comme je l'ai dit plus haut, donne un rapport à peine suffisant ; le maïs est plus abondant, toute proportion gardée. Cela provient, je le répète, du défaut d'engrais, de ceux surtout que livre aujourd'hui le commerce et que l'on connaît sous le nom d'engrais chimiques. Les habitants emploient en effet presque exclusivement et d'une façon forcément parcimonieuse, le fumier qu'ils retirent de leurs animaux domestiques : bœufs, vaches, juments, ânesses, porcs, brebis. Celles-ci forment chez un grand nombre de propriétaires des troupeaux de 30 ou 40 bêtes qu'ils gardent chaque année depuis le mois de 9bre jusqu'au mois de mai. Ces animaux leur donnent la laine nécessaire à la confection de leurs vêtements, des agneaux qu'ils livrent à la consommation, du lait dont ils font du fromage, et enfin le meilleur fumier pour leurs terres qui sont naturellement froides.


Le sol, d'une médiocre fécondité pour le rendement des productions alimentaires paraît presque absolument stérile au point de vue des produits minéraux ; il est vrai qu'aucun essai n'a été fait jusqu'à ce jour dans un but d'investigation. Aussi la seule exploitation dont on puisse faire mention aujourd'hui consiste-t-elle dans une carrière de sable ouverte sur un terrain communal situé au N.-E du village, dans un quartier dit de la Sère. Les habitants y vont extraire le sable qui leur est nécessaire et permettent à leurs voisins, à ceux de Visker surtout, d'y puiser gratuitement celui dont ils ont besoin. Une autre carrière située au N. du village dans un quartier qui porte son nom (Marnières) fournit la marne dont les habitants amendent leurs terres.

Si la nature a été ingrate sous ce dernier rapport pour la localité, l'industrie de l'homme y a été en revanche très prévoyante dans l'approvisionnement des moulins. Le seul territoire de Layrisse en compte en effet six, disséminés sur les bords de l'Aube. Deux propriétaires seulement s'en partagent inégalement l'exploitation, qui, fort heureusement pour les Layrissois, s'étend aussi en très grande partie sur la commune de Visker : Layrisse seul, si peu peuplé, ne fournirait assurément qu'un aliment bien maigre au fonctionnement régulier de toutes ces pierres meulières, et peu rémunérateur par suite pour un meunier, dont l'esprit de ruse accapareuse est devenu proverbial. La population n'est en effet que de 152 habitants d'après le dernier recensement officiel ; l'avant-dernier accusait 157 ; soit dans l'espace de 5 ans une diminutions de 5 hab. Cette décroissance s'accentue bien davantage si l'on compare la population actuelle à celle fournie par les dénombrements antérieurs : Layrisse avait en effet compté jusqu'à 200 habitants. Cette diminution notable, qui semble devoir persister, est due selon moi à 4 causes principales dont les deux 1res expliquent la décroissance antérieure et les deux dernières, celle qui se produira postérieurement selon toute vraisemblance. Les 2 1res sont, d'un côté, le départ d'un grand nombre de fermiers et métayers, et, d'autre part, l'immigration en Amérique de beaucoup de personnes qui se sont expatriées dans l'espoir de faire fortune. Les 2 dernières, les plus alarmantes à coup sûr, sont : 1° l'émigration d'un grand nombre de jeunes gens surtout, qui à peine libérés su service militaire, vont dans les villes y chercher une situation qu'ils croient moins pénible et plus lucrative ; 2°, la probabilité que les propriétaires ne s'aideront plus de fermiers ou de métayers, soit parce que leurs biens-fonds ont été partagés, soit parce qu'ils ont besoin de la plus grande partie de leurs terres pour leur approvisionnement personnel.

Comme je l'ai dit plus haut, le chiffre de la population est de 152 habitants dont 113 pour le village proprement dit et 39 pour le hameau situé à 2 Km. Au sud-est de la localité dans la direction de Loucrup. Le nombre de feux est de 27 pour le centre principal et de 4 pour le hameau. L'adjoint au maire et un membre du conseil municipal résident dans ce dernier quartier ; les 7 autres conseillers municipaux et le maire appartiennent au village. - L'unique fonction municipale rétribuée par la commune est celle de valet commun confiée pour raison d'économie à une femme, qui a en même temps pour devoir moral de mettre en branle la cloche chaque fois que cela est nécessaire. Aucun autre emploi n'aurait d'ailleurs sa raison d'être, la commune étant circonscrite et ne possédant que 125 ares de bois, nature chêne et châtaignier non soumis au régime forestier. Le seul produit retiré consiste dans la vente modique des châtaignes et des glands, des arbres même lorsque la commune doit faire face à une dépense imprévue ; un reboisement partiel se fait d'ailleurs chaque année aux frais des habitants et à la saison propice. Les autres biens communaux, dont le total est de 14 hect., 33 a., 47 c. sont incultes et de nature peu propre à un travail rémunérateur. - La valeur du centime est de 0,18863 pour l'année 1886.

Quatre chemins vicinaux relient Layrisse aux communes voisines et aux centres importants du département. L'un de ces chemins construit vers 1750, débouche entre Bénac et Visker sur la route d'Ossun à Bagnères et fait communiquer Layrisse avec Bénac, Ossun et Tarbes. Un pont très ordinaire, mais solide, construit vers 1875 sur la route d'Ossun à Bagnères, permet au chemin de traverser l'Aube, qui eut la fureur lors de la fameuse inondation de démolir l'ancien ouvrage. Un autre chemin construit récemment (1883), conduit aussi à Bénac, dont le bureau dessert la commune de Layrisse, par laquelle le facteur rural doit commencer sa tournée. Celui-ci vient de nouveau y faire une levée à son retour d'Orincles, avant de rentrer à Bénac. C'est également à Bénac que réside le percepteur qui tient la comptabilité de la commune. Le 3me chemin vicinal date de 1850 et mène à Lourdes en traversant Orincles, qui comprend Layrisse relativement aux cultes ; le vicaire réside d'ailleurs à Layrisse et ne va officier à Orincles que dans un cas de besoin. Le 4me chemin, le plus anciennement construit, (date incertaine), se dirige vers Loucrup et va rejoindre dans cette dernière localité la grand'route de Bagnères à Lourdes.

Le mot Layrisse qui désigne la commune n'a vraisemblablement aucune histoire étymologique ; si dans tous les cas il en a une, elle doit être bien insignifiante, car nul vieillard de la localité n'a su me renseigner sur ce point que je n'ai pu éclaircir de mon côté faute d'archives communales ou d'écrits quelconques sur la commune. A mon avis, ce nom doit avoir été imposé autrefois fortuitement au territoire, parce qu'il ne paraît formé d'aucune racine patoise ni tirer son origine d'un accident de terrain ou d'une autre cause naturelle quelconque. Dieu me garde d'autre part de croire à un bruit, malveillant à coup sûr et insinué par de mauvais plaisants, qui attribuerait la paternité de ce nom à maître Satan, dont les apparitions, auraient été fréquentes dans l'ancien temps sur le sol même où est bâti le village. Deux récits légendaires m'ont été en effet racontés au sujet de ces visions diaboliques. Les voici tels qu'ils m'ont été dits.



1re légende.

C'était l'époque de Charlemagne, dans le temps où le diable exerçait un métier fort difficile, où pour gagner une âme, une seule âme qui bien souvent encore lui échappait, il opérait des prodiges qui nous étonnent aujourd'hui ? Donc, en ces jours de splendides pactes diaboliques, Satan, jaloux de la gloire qu'avait acquise le paladin Roland en combattant les infidèles voulut venger les siens par une œuvre éclatante. Il pique l'amour-propre du neveu de Charlemagne et lui fait accepter un pari dont la gageure était leur âme que le perdant vouait au Démon. - (Le diable ne pouvait guère perdre, mais Roland ignorait la nature de son rival.) Ce pari consistait en un seul saut que chacun devait exécuter monté sur son cheval. Le point de départ était un sommet des Pyrénées. Roland, monté sur une bête magnifique, tombe à 100m. O. du village de Layrisse ; le sauteur infernal, juché sur une haridelle, ne parvient qu'au sommet de Miramont, hauteur située à 2Km. Sud environ du point d'arrivée de Roland. Le diable était donc vaincu. Une force surnaturelle n'avait pas voulu que Roland fût l'hôte éternel de Satan. En mémoire de sa défaite, le diable fut obligé (sic) de placer deux pierres gigantesques aux points où ils avaient inconsciemment buté. Dans sa générosité, il en mit une de nature marmoréenne à Layrisse. Il dut de plus graver sur la marque énorme du vainqueur l'empreinte du pied du cheval victorieux. Cette trace s'y trouve encore. On y voit aussi un grand nombre de rayures irrégulières faites par le diable, qui, à diverses reprises, se serait reposé, par contrainte sur cette pierre, pour de là considérer le lieu témoin de son humiliation. Depuis longtemps cependant, il n'a plus reparu, mais par esprit de vengeance sans doute, il a communiqué au caillou extraordinaire un pouvoir magique qui va faire l'objet de la 2me légende.



2me légende

C'était pendant la guerre de Cent ans, sous le règne de Charles VI. Les Anglais, maîtres de la plus grande partie de la France, la ravageaient sans pitié. Les habitants étaient pillés, maltraités, bien souvent tués. Les gens de Layrisse, voulant préserver de l'avidité des envahisseurs leur or, leur argent et leurs bijoux les plus précieux, enfouirent le tout sous la pierre. Le diable les laissa faire ; il se réjouissait à l'avance des trésors qu'on lui prodiguait involontairement. - Les Anglais ne poussèrent pas leur exploration dévastatrice jusqu'à Layrisse. Les habitants furent donc épargnés. La joie qu'ils en ressentirent fut grande, dit-on, mais de courte durée. Tout juste remis du trouble que leur avait causé leur situation peu rassurante, ils voulurent rentrer en possession de leurs richesses. Mais hélas ! le diable avait exercé sur la pierre sa puissance magique ; son œuvre maudite était accomplie. Les habitants avaient à peine tracé un léger sillon autour du caillou endiablé que les revenants, les lutins, toute la Kyrielle enfin des mauvais esprits fit reculer d'épouvante les travailleurs par ses maléfices et ses sortilèges. Bien que le trésor enfoui fût immense, les habitants n'ont plus voulu recommencer leur travail et leurs successeurs se sont bien gardés de revenir à la charge. La pierre est encore actuellement l'objet d'un respect mêlé de crainte, en particulier la nuit si un habitant attardé rentre à la maison par le chemin qui a été pratiqué à côté.

Ce sentiment d'appréhension respectueuse des Layrissois pour tout ce qui a trait au diable a exercé une grande influence sur leurs mœurs. Les aïeux ont vu le doigt de Dieu dans les œuvres sataniques que j'ai racontées plus haut et ont toujours vénéré toutes les cérémonies religieuses et le prêtre qu'ils considéraient comme un représentant direct de la Divinité. L'ignorance absolue où ils étaient plongés, la difficulté des communications, l'ascendant illimité que donnait au prêtre la pompe du culte, la fascination que produisait sur leur imagination l'œuvre du démon qu'on leur faisait voir dans les malheurs qui leur arrivaient avaient provoqué chez eux une mysticité stupide mais respectable cependant parce qu'elle était sincère. Aujourd'hui ce raffinement de dévotion n'est qu'un béguinage et se trouve chez les personnes d'un âge assez avancé qui ont sans doute à se faire pardonner une jeunesse orageuse et surtout chez quelques cagotes dont le passe-temps quotidien est de déchirer la réputation d'autrui et d'aller puiser chaque matin dans la confession, semble-t-il, une nouvelle force pour diffamer. Demandez à ces fausses pénitentes des renseignements sur quelqu'un, si ce quelqu'un use les bancs de l'église, elles vous répondront béatement : Oh ! c'est une honnête personne ; elle est constamment au pied de l'autel. - Si le contraire arrive, elles déversent sur elle tout le venin que sécrète leur bouche empoisonnées. Layrisse a réputation acquise sous ce rapport dans les environs.

Les anciens étaient d'une piété outrée, ridicule assurément, mais vraie, franche, sans arrière-pensée ; la loyauté présidait à toutes leurs affaires. Actuellement la fourberie et l'hypocrisie, 2 sœurs jumelles, inséparables, forment le fond du caractère des habitants. Ils font volontiers parade de leur adresse à fourber autrui dès que la ruse a réussi, mais cachent jusqu'alors sous des apparences de sainte nitouche ce qu'ils appellent leur jeu. Leur perfidie se manifeste par un clignotement d'yeux qu'on remarque facilement entre 2 compères de Layrisse qui se proposent de tromper le tiers qui converse et traite avec eux.


Certains autres se défigurent et se ridiculisent réellement par un tic continuel qu'ils vous déclarent naïvement nerveux si vous leur en demandez la cause. D'autres, et c'est le plus grand nombre, savent à un degré éminent exécuter ces 2 singeries qui constituent d'après eux les qualités maîtresses d'un individu adroit et malin. Heureusement pour leur conscience et pour les gens d'alentour, ces supercheries sont usées depuis longtemps et ne font de victimes que parmi les inconnus. Quelques vrais honnêtes hommes de la commune rougissent avec raison de l'indélicatesse notoire de leurs compatriotes et rachètent en partie par leur bonne foi l'indigne duplicité de ces derniers.

Ces habitants, qui parodient la piété, spéculent aussi sur elle ; ils ont eu à cœur - cela est logique - de s'imposer des sacrifices pour avoir chacun dans sa famille - je n'exagère pas - un prêtre qui comblât largement le vide monétaire que sa position avait produit, et qui leur ouvrit à l'heure de la mort les portes de ce paradis qu'ils avaient tant de fois perdu pendant la vie. A cela, la moralité proprement dite y gagne aussi certainement par la crainte de créer à M. le curé, frère, oncle ou cousin, une situation gênante, toujours critique et de donner prise surtout aux ON DIT et aux QU'EN DIRA-T-ON. L'intention de mal faire ne manquerait pas, j'en suis certain, mais la rumeur publique, la médisance et la calomnie l'empêchent de se manifester par des actes. Les pires choses ont parfois leur valeur. - Autant de péchés d'évités, dira-t-on, autant d'idées malsaines qui n'ont pu se traduire en action ; c'est vrai, mais à quel prix !


Ces sentiments religieux qui se sont avachis par l'intérêt, l'abus et la contrainte ont encore aujourd'hui une influence d'un autre genre ; je veux parler de l'ascendant qu'ils exercent sur l'alimentation. Les habitants, observateurs scrupuleux des préceptes de l'Eglise, jeûnent souvent et n'usent jamais d'aliments gras les jours prohibés. D'aucuns prétendent que c'est par économie plutôt que par dévotion. Il serait difficile, je crois, de connaître le jugement des gens à cet égard. Pour ma part, je puis affirmer que généralement la nourriture est saine, fortifiante, mais par trop massive, car la pâte faite de farine de maïs torréfiée et détrempée dans du bouillon ou de l'eau forme l'aliment principal de leur entretien. - Leurs vêtements sont faits d'une sorte de serge de laine ou cadis qu'ils confectionnent en grande partie avec la toison de leurs brebis. Rien de particulier ou de frappant à signaler dans la manière dont sont façonnés les habits ; le béret traditionnel et le sarrau de toile de coton fine et carrelée sont portés avec une grâce toute spéciale.


La seule remarque à faire sur les chants locaux, c'est une sorte d'émulation dérisoire, grossière même qu'apportent les chanteurs, quels qu'ils soient, à criailler des chansons des rues empruntées.

L'idiome local est un patois assez agréable qui tend à s'altérer par les modifications qu'y introduisent les personnes qui viennent établir domicile par le mariage dans la commune.



Enseignement

L'historique de l'enseignement dans la commune ne remonte qu'à Napoléon 1er. Bien avant cette époque, les parents soucieux de faire apprendre la lecture et l'écriture à leurs enfants étaient obligés de les envoyer à Orincles. La Révolution de 1789 jeta quelque lumière sur l'esprit ténébreux des habitants et excite chez quelques-uns le désir, inconscient encore, de posséder quelques notions élémentaires. Une faible impulsion se produisit alors au commencement du XIXe siècle en faveur de l'instruction qui fut dès ce moment donnée dans la localité aux frais des parents. Le 1er maître d'école fut vers 1805 un certain Tapiat Benoît de Layrisse, dépourvu de titre, qui dans les loisirs que lui laissait le travail de la terre, enseignait aux enfants la lecture et l'écriture. Sa rétribution annuelle consistait an 1/8 d'hectolitre de maïs (coupêt) par enfant n'écrivant pas et en 1/4 d'hect. de blé (mesure) pour chacun des autres. Remarque bizarre mais qui fait bien ressortir l'obstination coupable qu'ont mise par la suite certaines gens à croupir dans l'ignorance, il était enjoint au maître par les parents de retarder autant que possible les leçons d'écriture. Beaucoup d'enfants quittaient ainsi l'école sans savoir tracer une lettre. Question d'économie encore, mais ici d'économie honteuse, puisqu'elle entravait le progrès intellectuel. Le second maître fut un nommé Murraté Jean de Layrisse, instituteur-tisserand. - Même paiement avec même sordidité. Celui-ci comme son prédécesseur, tenait son école dans sa maison, sans percevoir aucune indemnité de logement. A ce dernier succéda Barrouquère Laurent de Layrisse, qui exerçait exclusivement les fonctions d'instituteur. - Rétribué aussi par les parents jusqu'à la promulgation de la loi du 28 juin 1833 qui lui accorda 200 F. - A tenu son école dans une maison particulière et dans sa propre maison. - A été indemnisé dans les dernières années seulement. Ce digne maître, qui cherchait à compenser l'insuffisance de son instruction personnelle par le zèle et l'assiduité, fut obligé à un âge avancé d'abandonner une carrière noblement remplie par suite des menées scandaleuses du vicaire de la commune qui réussit à supplanter sa victime dans le but cupide de jouir de son traitement. Bel exemple de charité, n'est-ce pas ! L'ecclésiastique était aussi à cette époque l'ennemi acharné du laïque. Cette haine invétérée se poursuivra. A ce généreux vicaire-régent ont succédé vers 1855 sept instituteurs, tous pourvus de diplômes, qui ont à diverses époques distribué courageusement dans la commune le pain sacré de l'éducation. Le 7e, l'auteur du présent travail, s'efforce encore aujourd'hui de dispenser modestement la nourriture intellectuelle dont la gouvernement de la République veut que chaque citoyen ait sa part. Les 4 1ers , Labat de Siarrouy, Bualé de Tarbes, Capdevielle aussi de Tarbes et Senmartin d'Arcizac-Adour ont tenu l'école dans diverses maisons particulières dont le loyer était supporté par la commune. Le fils de ce dernier a fait également jusqu'en 1877 l'école dans une maison particulière dont le prix de louage était aussi à la charge de la commune. A partir de cette époque, la classe s'est tenue dans l'établissement communal actuel dont la construction a été possible grâce à la générosité du gouvernement de la république, qui a pourvu à la plus grande partie des dépenses : - La maison d'école a la façade principale tournée vers le sud. Au rez-de-chaussée se trouvent la salle d'école et 2 pièces à l'usage de l'instituteur : la cuisine et une chambre. L'école est une salle rectangulaire d'une longueur de 5m70, d'une largeur de 4m26 et d'une hauteur de 3m40. Le matériel scolaire se compose de 4 tables mobiles à bancs aussi mobiles, d'une table rectangulaire, vaste, servant d'estrade, d'un tableau noir que l'usage a déteint en partie, de 4 cartes murales, parmi lesquelles 2 représentent la France, 1, l'Europe et l'autre forme un tableau synoptique des principales mesures métriques ; de deux petites cartes en relief faisant ressortir, l'une le système montagneux de l'Europe ; l'autre, celui de la France ; enfin d'une sorte d'armoire-bibliothèque pratiquée dans le mur lors de la construction de la maison d'école. - La fréquentation est assez régulière pendant l'hiver ; elle l'est moins pendant la saison des travaux. - Sur les 4 conscrits de la dernière année, 2 connaissent les lettres, savent lire quelques mots faciles seulement mais savent écrire ; un autre sait lire et écrire quelque peu couramment ; le dernier enfin possède quelques notions élémentaires assez étendues. - Les besoins sont satisfaits dans une mesure restreinte et incomplète ; mais que demander à des gens qui n'apprécient pas suffisamment encore la valeur de l'instruction, dont le jugement borné semble encore s'opposer à la diffusion de l'enseignement ; que demander à une localité qui n'a pour ainsi dire pas de ressources communales, dont le budget s'équilibre chaque année par une imposition extraordinaire ? Comme on vient d'en juger, les résultats obtenus par les divers maîtres que j'ai cités plus haut n'ont pas toujours été à la hauteur de leurs efforts. Beaucoup de parents illettrés, à la raison étroite, ou insouciants, n'ont pas permis à leurs enfants de fréquenter suffisamment l'école ; d'autres, besoigneux ou surchargés de travail, les en ont prématurément enlevés. Aujourd'hui même encore cette fâcheuse tendance persiste quelque peu mais s'interrompt cependant petit à petit par l'effet de l'obligation scolaire et par le progrès, qui en est la conséquence naturelle. L'éducation se fait jour par la voie presque infaillible de l'instruction, la sœur cadette, mais sa compagne indispensable, et percera entièrement dans un temps encore éloigné mais certain, l'obscurité profonde répandue par l'ignorance et la superstition. Ce relèvement moral fera disparaître aussi certains préjugés et contribuera à polir les mœurs en les purifiant. Immense résultat obtenu au profit de l'âme, de la conscience et de l'intelligence.



Renseignements divers ou omissions.

Traitement du maître actuel : 1100 F.
Tous les conjoints de la dernière année ont signé leurs noms.
Bureau télégraphique : Ossun.
Gibier de chasse : lièvres et autres animaux de la contrée ; oiseaux de passage : caille, perdrix, bécasse, canard et oies sauvages.
Pêche : nulle pour ainsi dire ; poissons : anguille, truite, vairon ; crustacé : écrevisse.

copie du cadastre

plan de l’école